Nos biais cognitifs sont nombreux. Nous avons tendance à ne retenir de notre passé, de nos expériences personnelles ou professionnelles que celles que nous avons choisies.

Nous en restituons d’ailleurs une histoire déformée, interprétée où beaucoup de données et faits sont occultés et d’autres surestimés.
Nous aimons également nous inspirer de l’expérience des autres. Expériences qui nous arrivent d’ailleurs toutes aussi déformées et sélectives que nos propres expériences.
La mode des articles dits de motivation doit nous inciter à la prudence. On nous y explique, de manière impérative, comment arriver à un résultat garanti, sur le fondement de la répétition des actions d’autres personnes.
Malheureusement ça ne fonctionne jamais. Pour une seule et unique raison qui est que la vie n’est pas un laboratoire d’analyse scientifique où l’on peut reproduire, en milieu stérile, les mêmes expériences encore et encore.
Non la vraie vie est une aventure, avec ses surprises, ses changements, sa complexité. Rien n’est jamais pareil.
Un résultat est la résultante de beaucoup de facteurs que ne relèvent pas uniquement de notre volonté toute puissante ou de notre talent fût-il incontestable. Le hasard, la chance, le contexte y jouent un rôle déterminant également et complètement sous-estimé ou ignoré.
Nous aimons croire que nos succès ont une seule cause ; nous.
Au-delà de ces constatations d’évidence, le sujet le plus embêtant est que fonder ses décisions sur son expérience revient à dire que le futur sera comme le passé.
1.
Préférer au culte du résultat
La pratique du retour d'expérience

On ne change pas une équipe qui gagne. D’ailleurs en sport il est très difficile d’envisager un changement des membres de l’équipe ou de stratégie après une victoire. Dans la vie des entreprises également.
The bottom line comme disent nos amis anglo-saxons, le résultat final, il n’y a que cela qui compte.
Vraiment ?
On se focalise trop sur la fin de l’histoire et négligeons souvent d’analyser l’enchaînement des causes, le processus complet qui a permis d’atteindre ce résultat. En ayant la modestie ou l’humilité d’y inclure la chance, le hasard et le contexte qui jouent souvent un rôle décisif.
Le retour d’expérience est négligé car on pense être en mesure de répéter l’expérience indéfiniment avec le même résultat or ça n’est pas le cas.
Si ça l’était, une équipe qui a gagné un match devrait être en mesure de refaire exactement la même chose pour arriver à coup sûr à la victoire.
Or les contextes changent, les joueurs en face ne sont pas nécessairement les mêmes dans les mêmes dispositions techniques et physiques. Il en va de même dans nos vies personnelles et professionnelles les données changent en permanence.
Si les causes du succès sont superficiellement analysées ; les demi succès ou échecs et les échecs sont quant à eux complètement oubliés. Or ils sont extrêmement riches d’enseignements.
La décision était peut-être la bonne, la stratégie la bonne mais le contexte ou certaines données sont venues contrariées le résultat.
Auquel cas la suite logique serait plutôt de réitérer sa mise en œuvre alors que souvent c’est l’abandon qui est la conséquence. C’est ainsi que nous abandonnons trop facilement des stratégies qui auraient produits des résultats à terme. Où nous séparons de collaborateurs qui étaient utiles. Pendant que nous sur valorisons d’autres dont l’effet sur le résultat final a été marginal.
Systématiser le retour d’expérience dans le succès, le demi échec ou l’échec permet d’identifier la sensibilité de notre résultat à certains facteurs. De tirer de précieuses leçons pour les prochaines actions.
De mesurer le poids réel de chaque donnée dans l’atteinte du résultat. Se concentrer sur le processus qui amène le résultat est sûrement la meilleure méthode pour avoir de bons résultats de manière récurrente sur la durée.
C’est très certainement la bonne distance afin d’apprécier équitablement la valeur créée par le facteur humain.
De surcroît, en matière d’animation d’équipe, de motivation et d’implication des actrices et acteurs de l’entreprise ; c’est efficace. C’est toujours un moment d’expression collective qui permet de prendre du recul, relativiser, ajuster notre processus de décision et d’analyse. Le groupe devient acteur des changements à entreprendre, des inflexions à envisager.
Nous pouvons mieux évaluer le poids des individus et des autres facteurs dans l’atteinte du résultat.
La lucidité éclairée est toujours un meilleur allié sur la durée que le sentiment de toute puissance egocentrique ou l’illusion de notre pouvoir personnel sur le succès.
Même si le facteur humain reste une pièce maîtresse de toute entreprise réussie.
2.
Les contradicteurs sont utiles

C’est un autre biais humain. Nous préférons les louanges aux critiques. Les béni oui oui à ceux qui nous appelons les poils à gratter.
La vraie solitude du pouvoir se situe là, dans la prise de décision. Pour prendre la meilleure décision possible il faut avoir une information la plus complète, factuelle, non biaisée.
Or l’environnement des décideurs se compose souvent de personnes cooptées qui ont tendance à partager le même référentiel d’analyse que le décideur. C’est la prime au conformisme.
Ou encore de personnes qui visent des intérêts personnels (agenda caché) et ne voient pas la nécessité à présenter des données factuelles qui contrarieraient leur plan.
Ou encore d’autres personnes qui pensent tirer avantage à ne présenter que les données qui vont dans le sens qu’ils anticipent de la volonté du décideur.
Si à cela on rajoute notre biais cognitif préféré qui est le biais de confirmation ; nous souhaitons toutes et tous ne retenir que les données qui arrangent notre vision du problème, nous avons un panorama complet des sources d’influences néfastes à une bonne décision.
Dans la recherche 360° des données d’un sujet de réflexion nous devons, quel que soit le domaine dans lequel notre décision va s’exercer, veiller à ne privilégier aucune source d’information. Et solliciter, les esprits critiques, les poils à gratter, les iconoclastes, les opposants, comme les autres.
La conscience des biais, les siens et ceux des personnes avec lesquelles nous échangeons doit être présente à l’esprit quand nous consultons les avis d’experts.
Pour les sujets importants les décideurs pourront constituer des collèges de personnes très différentes les unes des autres afin de s’entourer de conseils qui évitent tous les biais énoncés.
Beaucoup de décideurs deviennent victime de leur entourage, par facilité.
3.
Valoriser la prévention des problèmes
Autant que la capacité à les solutionner
Au même titre que nous aimons les résultats nous aimons également les solutions.
Ceux qui viennent avec une solution ou des capacités à résoudre les problèmes sont extrêmement valorisés dans nos sociétés.
Par contre tout le travail d’anticipation qui a pour objet de répertorier les risques et mettre en place des processus afin d’éviter que le problème ne survienne, est absolument ignoré.
Les décisions qui évitent les problèmes ne produisent aucun résultat visible. Puisque leur résultat est justement l’absence de résultat.
Par conséquent nos organisations ne valorisent pas du tout cette compétence clé au sein des organisations.
Avouons, que c’est regrettable.
On parle beaucoup d’anticipation, d’agilité face aux environnements changeants. D’adaptabilité en mélangeant en fait plusieurs compétences clés.
L’agilité, l’adaptabilité nous permettent de continuer à avancer alors que des changements interviennent dans nos contextes. Nous nous ajustons par rapport à eux.
L’anticipation consiste à prévoir ce qui peut arriver et d’en atténuer ou supprimer les effets indésirables.
Intuitivement on perçoit que l’anticipation coute moins cher aux organisations en dépenses d’énergie, de temps, de capitaux que solutionner un problème.
Comme l’obsession du résultat voile notre perception des causes et leurs effets ; notre goût de la solution nous empêche de développer nos qualités d’anticipation.
4.
Conclusion
Sans rejeter l’expérience un peu trop facilement, nous souhaitions dans cet article mettre l’accent sur les limites de tout système.
S’il est une expérience à conserver c’est celle des méthodes, des processus et pas celle qui aboutit à des attitudes ou comportements systématiques.
Comme s’il existait une source de certitude en ce monde incertain nous aimons la sécurité que procure notre expérience.
Sans considérer que notre expérience n’a aucune valeur ce que je ne risquerai pas à affirmer ; il convient d’en connaître les limites. A défaut nous courons le risque de nous empêcher de réussir à cause d’une sorte de confort. Puisque les clés du succès ont été celles-là il suffit de reproduire ce que nous avons fait pour produire le résultat attendu.
Enfin prendre du recul par rapport à son expérience ne veut pas dire prendre du recul avec ses compétences qui sont une chose différente. Notre savoir-faire professionnel reste une valeur sûre.
De même s’intéresser au processus qui produit du résultat ne signifie pas se désintéresser de l’efficacité de son action c’est d’ailleurs le contraire. Nous avons conscience de l’émoi que peut provoquer le fait de challenger le culte du résultat ; comme si nous ne voulions pas en obtenir.